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Au Château de Nanterre, l’utopie en cuisine
L’ancienne usine du Docteur Pierre, à Nanterre, accueille start-ups, associations et entreprises réunies autour de l’innovation sociale et de la transition alimentaire.
Photo CD92/Olivier Ravoire
De la casserole à l'assiette, il n'y a qu'un pas chez Foodentropie dont la chef, Amélie Rosselot, travaille sous les yeux des consommateurs.
L’assiette où se bousculent part de quiche, plat de lentilles et morceau de gâteau parvient tant bien que mal à contenir un repas complet. La balance posée près de la caisse affiche son poids au gramme près. L’addition sera en effet proportionnelle à l’appétit. Par cette formule, alternative au menu du jour, Foodentropie entend responsabiliser le consommateur. « Je suis en dessous de dix euros avec des ingrédients de qualité et bio », constate celui qui s’apprête à déguster ces mets préparés sur place. C’est en voisin que Blaise Desbordes, directeur de Max Havelaar France fréquente l’établissement situé au rez-de-chaussée du « Château de Nanterre ». Le pionnier du commerce équitable a déplacé il y a peu son siège de Montreuil dans ce bâtiment aux allures faussement patriciennes, où ses trente-deux salariés côtoient d’autres acteurs de l’économie sociale et solidaire. « Plutôt qu’un lieu sans âme, nous avons voulu rejoindre une structure engagée, qui partage nos valeurs ».
Photo : CD92/ Olivier Ravoire
L'incubateur culinaire United Kitchens offre aux artisans, start-ups et autres acteurs de l'alimentation durabe, 600m2 de cuisines professionnelles.
Tiers-lieu en mouvement
Les bureaux donnent, d’un côté sur Paris-La Défense, de l’autre sur une cour intérieure qui peut accueillir des événements à la belle saison. Achevée il y a un an et demi, la restauration du Château l’a fait basculer de l’industrie vers la catégorie inclassable du tiers-lieu. Hybride, en mouvement, ouvert sur la ville, sous la houlette de l’entreprise solidaire Etic, il accueille à ce jour vingt-quatre start-ups, associations et entreprises. Enjeu de société, la transition alimentaire fédère une bonne partie d’entre elles autour de la consommation, de la production et de la transformation responsables et de l’invention de nouvelles façons de se nourrir. Foodentropie - entropie pour transformation - se veut « l’ambassade » de ce laboratoire pour toute une filière et son fondateur, le trentenaire Robin Placet, en paraît la tête pensante. Il s’efforce avec son équipe de produire une « cuisine positive » pour mieux se nourrir, respecter les producteurs et éviter le gaspillage. Chaque midi la chef, Amélie Rosselot, opère sous les yeux des visiteurs : « Les gens viennent discuter, j’ai beaucoup de retours sur le goût des produits », apprécie cette artiste plasticienne à ses heures dont les buffets sont autant de compositions. Elle sait mettre en valeur des produits simples et de saison. Les légumes et viandes sont le plus souvent locaux et toujours bio, caractéristique qui n’est pas la plus mise en avant.
« Pour nous, c’est le minimum syndical, on va au-delà en travaillant directement avec nos fournisseurs et en utilisant des légumes issus de semences paysannes, plus savoureux ». La grande salle lumineuse où ont lieu régulièrement des animations sur le thème de la transition alimentaire donne sur le jardin où l’on peut s’installer pour déjeuner. Certains en profitent pour faire un tour dans le potager en permaculture, support d’un projet joliment baptisé les Madeleines enracinées. Porté par une association, l’Endat, il s’adresse à des patients souffrant de troubles du comportement alimentaire comme la boulimie ou l’anorexie. « L’idée est que les personnes, en jardinant et en observant la nature, retissent un lien avec la terre qui leur fournit leur alimentation et qu’elles se mettent à cuisiner des éléments qui avaient été rejetés », explique Nina Besana-Mourlaas, de l’Endat. Le potager est enrichi avec un compost produit à partir des déchets organiques du restaurant et des locataires situés dans les étages.
Mélange des genres
Photo : CD92/ Olivier Ravoire - L'association Les Impliqués acccompagne au changement professionnel
Cette rusticité le cède à un certain confort dans les espaces de bureaux, privatifs ou partagés, auquel on accède avec un badge. Photocopieuses, salle de réunion, accès internet et cuisine sont mutualisés... Les tarifs sont ceux d’autres espaces de coworking avec un supplément d’âme. « Notre modèle économique fait la preuve que l’économie sociale et solidaire, contrairement à ce que l’on entend parfois, peut être viable », défend Margaux Mantel, gestionnaire du site pour Etic qui s’occupe aussi bien des questions locatives que de la réparation d’une machine récalcitrante. Les résidents sont associés à leur lieu de vie lors d’un comité trimestriel. Dans la cuisine, sur la paillasse d’origine à carrelage rouge et blanc, Alexandrine Mounier a déposé ses plantes en pot pour les arroser. Avec son association, Les Impliqués, elle accompagne toute personne en questionnement sur son orientation professionnelle, revisitant « le rapport au travail, la culture familiale et socioprofessionnelle, le vécu » afin de permettre une « prise de recul » salutaire. La méthode s’appuie sur les récits de vie et sur la coopération entre stagiaires, réunis en petits groupes. Chacun participe en fonction de ses moyens. Le deuxième étage est occupé par Scale Changer qui accompagne les entrepreneurs sociaux dans leur changement d’échelle, DHI, bureau d’étude en hydrométrie, le réseau des Accorderies de France et l’Échoppe végétale d’Anaïs Kali, qui vend des kits de graines pour jardiner sur son balcon. « J’aime côtoyer des gens qui ont des activités et des statuts différents du mien, ça permet d’avoir un regard extérieur souvent constructif », explique l’entrepreneuse. Nanterrien également, le réalisateur indépendant Lucas Largeron, qui vient en skate électrique, a choisi l’endroit avant tout pour la proximité avec son domicile mais semble à présent conquis : « C’est moins impersonnel que d’autres espaces de coworking : je considère mes voisins comme des collègues, on fait des sorties ensemble, du yoga ». Le lieu semble même avoir déteint sur lui :
« Je viens toujours en skate électrique ! Mais je commence à réfléchir à ma consommation et à l’intérêt du vélo et j’ai remarqué que je faisais plus attention à ce que je mangeais ».
Photo : CD92/ Olivier Ravoire
Les espaces de bureaux, privatifs ou partagés, abritant start-ups, entreprises et associations réunies autour des valeurs de l'innovation sociale.
Synergies entre résidents
Seuls les foodtrucks stationnés à l’extérieur trahissent la présence du dernier niveau du Château : l’incubateur culinaire United Kitchens, en sous-sol, offre 600 m2 de laboratoire dernier cri qu’artisans, traiteurs et start-ups peuvent louer pour une durée à la carte. Le taux de reconversions professionnelles explique sans doute l’exigence des projets réunis autour d’une « cuisine locale, saine, accessible et gourmande ». « Ils se concentrent sur leur cuisine ; nous gérons le reste », explique Grégoire Delaage, cofondateur avec Armelle, son épouse. L’hygiène, entre autres, qui fait l’objet d’un suivi draconien. Et digital : tous les ingrédients ou encore les températures sont renseignés sur des tablettes tactiles placées à l’entrée des salles. Un food lab manager veille au grain. Fabien Leniaud qui cuisine pour des espaces de coworking se rend à Nanterre avec plaisir : « Il y a beaucoup d’entraide. En cas de problème de livraison par exemple, on trouvera quelqu’un pour nous dépanner ». Mélanie Barnier a créé avec son frère Pierre Family’Eat, en pleine croissance, qui livre des repas prêts à consommer pour le dîner dans toute la France. « Nous préparons 150 plats en une seule journée alors qu’ailleurs il faudrait trois jours. Le reste de la semaine, ça dégage du temps pour travailler sur nos partenariats et nos financements », explique la jeune femme qui envisage aussi un partenariat avec une pâtissière rencontrée sur place. Des synergies se créent naturellement entre cuisiniers et, au-delà, entre résidents, preuve que l’écosystème voulu par Etic prend forme. L’association Les Impliqués - pourtant éloignée des fourneaux - a ainsi mis en relation United Kitchens avec une entreprise du CAC 40 avec, à la clé, une prestation de traiteur qui a fait travailler « toute la start-up ».
Source : HDSmag n°64 mars-avril 201975 allée des Parfumeurs
92000 Nanterre
L'histoire d'une renaissance
L'édifice, construit en 1901, est inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Pendant plus d'un siècle, les activités industrielles se sont succédé derrière sa façade d'apparat visible depuis la ligne Saint-Germain- en-Laye, actuel RER A. La marque 'Docteur Pierre" élabore pâte à dentifrice, alcool et eau de Cologne à base de menthe. Puis vient le temps des parfums Forvil et groupe Natalys. Á partir de 20118, le Château se transforme en friche. Á proximité de Paris, avec 2 000m2 sur cinq niveaux et un parc du triple de surface, il semble taillé sur mesure pour des bureaux de standing. Mais la municipalité fait appel à l'entreprise solidaire Etic pour en faire un lieu de transition. Grâce à un partenariat sur fonds publics et avec Etic - qui est aussi une foncière-, le bâtiment et son parc, rénovés, rouvrent à l'automne 2017. Le Château désormais géré par Etic s'inscrit dans un nouveau quartier comprenant aussi des logements et des bureaux.